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27 May

Le mythe de Er, dans La République de PLATON

 - Catégories :  #Mythes fondateurs, #TS1, #TST2S, #Illustrations

Le mythe de Er, fil d’Arménios de Pamphylie[1]

 

    Er, fils d'Arménios, originaire de Pamphylie, était mort dans une bataille ; dix jours après, comme on enlevait les cadavres déjà putréfiés, le sien fut retrouvé intact. On le porta chez lui pour l'ensevelir, mais le douzième jour, alors qu'il était étendu sur le bûcher, il revint à la vie ; quand il eut repris ses sens il raconta ce qu'il avait vu là-bas.

Aussitôt, dit-il, que son âme était sortie de son corps, elle avait cheminé avec beaucoup d'autres, et elles étaient arrivées en un lieu divin où étaient assis des juges qui, après avoir rendu leur sentence, ordonnaient aux justes de prendre à droite la route qui montait à travers le ciel ; et aux méchants de prendre à gauche la route descendante.

Comme il s'approchait à son tour, les juges lui dirent qu'il devait être pour les hommes le messager de l'au-delà, et ils lui recommandèrent d'écouter et d'observer tout ce qui se passait en ce lieu.

Il y vit donc les âmes qui s'en allaient, une fois jugées, par les deux ouvertures correspondantes du ciel et de la terre ; par les deux autres des âmes entraient, qui d'un côté montaient des profondeurs de la terre, couvertes d'ordure et de poussière, et de l'autre descendaient, pures, du ciel.

Les unes racontaient leurs aventures en gémissant et en pleurant, au souvenir des maux sans nombre et de toutes sortes qu'elles avaient soufferts ou vu souffrir, au cours de leur voyage souterrain voyage dont la durée est de mille ans , tandis que celles-ci, qui venaient du ciel, parlaient de plaisirs délicieux et de visions d'une extraordinaire splendeur.

Pour tel nombre d'injustices qu'elle avait commises au détriment d'une personne, et pour tel nombre de personnes au détriment de qui elle avait commis l'injustice, chaque âme recevait, pour chaque faute à tour de rôle, dix fois sa punition, et chaque punition durait cent ans c'est-à-dire la durée de la vie humaine afin que la rançon fût le décuple du crime.

Ceux qui au contraire avaient fait du bien autour d'eux, qui avaient été justes et pieux, en obtenaient dans la même proportion la récompense méritée.

Puis, il y eut la « Déclaration de la vierge Lachésis, fille de la Nécessité. Âmes éphémères vous allez commencer une nouvelle carrière et renaître à la condition mortelle. Ce n'est point un génie qui vous tirera au sort, c'est vous-mêmes qui choisirez votre génie.» [...]

À ces mots, il jeta les sorts et chacun ramassa celui qui était tombé près de lui, sauf Er, à qui on ne le permit pas.

Chacun connut alors quel rang lui était échu pour choisir.

Après cela, l'hiérophante étala devant eux des modèles de vie en nombre supérieur de beaucoup à celui des âmes présentes.

Il y en avait de toutes sortes toutes les vies des animaux et toutes les vies humaines ; on y trouvait des tyrannies, les unes qui duraient jusqu'à la mort, les autres interrompues au milieu, qui finissaient dans la pauvreté, l'exil et la mendicité.

Il y avait aussi des vies d'hommes renommés soit pour leur aspect physique, leur beauté, leur force ou leur aptitude à la lutte, soit pour leur noblesse et les grandes qualités de leurs ancêtres ; on en trouvait également d'obscures sous tous ces rapports, et pour les femmes il en était de même.

Tous les autres éléments de l'existence étaient mêlés ensemble, et avec la richesse, la pauvreté, la maladie et la santé ; entre ces extrêmes il existait des partages moyens.

C'est là, ce semble, ami Glaucon, qu'est pour l'homme le risque capital ; voilà pourquoi chacun de nous, laissant de côté toute autre étude, doit surtout se préoccuper de rechercher et de cultiver celle-là, de voir s'il est à même de connaître et de découvrir l'homme qui lui donnera la capacité et la science de discerner les bonnes et les mauvaises conditions, et de choisir toujours et partout la meilleure, dans la mesure du possible.

En calculant quel est l'effet des éléments dont nous venons de parler, pris ensemble puis séparément, sur la vertu d'une vie, il saura le bien et le mal que procure une certaine beauté, unie soit à la pauvreté soit à la richesse, et accompagnée de telle ou telle disposition de l'âme ; quelles sont les conséquences d'une naissance illustre ou obscure, d'une condition privée ou publique, de la force ou de la faiblesse, de la facilité ou de la difficulté à apprendre, et de toutes les qualités semblables de l'âme, naturelles ou acquises, quand elles sont mêlées les unes aux autres ; de sorte qu'en rapprochant toutes ces considérations, et en ne perdant pas de vue la nature de l'âme, il pourra choisir entre une vie mauvaise et une vie bonne, appelant mauvaise celle qui aboutirait à rendre l'âme plus injuste, et bonne celle qui la rendrait plus juste, sans avoir égard à tout le reste ; car nous avons vu que, pendant cette vie et après la mort, c'est le meilleur choix qu'on puisse faire.

Et il faut garder cette opinion avec une inflexibilité adamantine en descendant chez Hadès, afin de ne pas se laisser éblouir, là non plus, par les richesses et les misérables objets de cette nature ; de ne pas s'exposer, en se jetant sur des tyrannies ou des conditions semblables, à causer des maux sans nombre et sans remède, et à en souffrir soi-même de plus grands encore ; afin de savoir, au contraire, choisir toujours une condition moyenne et fuir les excès dans les deux sens, en cette vie autant qu'il est possible, et en toute vie à venir ; car c'est à cela qu'est attaché le plus grand bonheur humain.[...] si chaque fois qu'un homme naît à la vie terrestre il s'appliquait sainement à la philosophie, et que le sort ne l'appelât point à choisir parmi les derniers, il semble, d'après ce qu'on rapporte de l'au-delà, que non seulement il serait heureux ici-bas, mais que son voyage de ce monde en l'autre et son retour se feraient, non par l'âpre sentier souterrain, mais par la voie unie du ciel.

Le spectacle des âmes choisissant leur condition valait la peine d'être vu, car il était pitoyable, ridicule et étrange.

Le soir venu, elles campèrent au bord du fleuve Amélès, dont aucun vase ne peut contenir l'eau.

Chaque âme est obligée de boire une certaine quantité de cette eau, mais celles que ne retient point la prudence en boivent plus qu'il ne faudrait. En buvant on perd le souvenir de tout. Or, quand on se fut endormi, et que vint le milieu de la nuit, un coup de tonnerre éclata, accompagné d'un tremblement de terre, et les âmes, chacune par une voie différente,  jaillirent comme des étoiles. Quant à lui, disait Er, on l'avait empêché de boire de l'eau; cependant il ne savait point par où ni comment son âme avait rejoint son corps; ouvrant tout à coup les yeux, à l'aurore, il s'était vu étendu sur le bûcher. Et c'est ainsi que le mythe a été sauvé de l'oubli et ne s'est point perdu; et il peut nous sauver nous-mêmes si nous y ajoutons foi; alors nous traverserons heureusement le fleuve du Léthé et nous ne souillerons point notre âme. Si donc vous m'en croyez, persuadés que l'âme est immortelle et capable de supporter tous les maux, comme aussi tous les biens, nous nous tiendrons toujours sur la route ascendante, et, de toute manière, nous pratiquerons la justice et la sagesse. Et nous serons heureux ici-bas et au cours de ce voyage de mille ans que nous venons de raconter. »

 

[1] Platon, in La République, extrait du Livre X, 613c-621d.

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À propos

Enseignement de la philosophie des TS1 et TST2S de M. Xavier Moreau au Lycée F. Mitterrand à Moissac